C’est une histoire tumultueuse qui prend tristement fin. L’histoire d’innombrables joutes, de nuits déchaînées et de flammes enragées. Inauguré le 12 octobre 1967 en marge des Jeux Olympiques de 1968, le Palais des Sports de Grenoble connût mille et une vies. Des épreuves de patinage organisées sur sa plateforme centrale aux courses cyclistes sur la piste l’encerclant en passant par la tenue annuelle du festival international du cirque de Grenoble, l’ancien « stade de glace » prêta son cadre à moultes légendes du sport et de la culture. Le français Patrick Péra y remporta une médaille de bronze, les Etats-Unis y écrasèrent la France en finale de la Coupe Davis 1982, Snoop Dogg, Elton John ou Mylene Farmer y enflammèrent l’Isère.
Néanmoins, aucun de ces évènements ne contribua plus à la renommée du Palais des Sports que les mythiques 6 jours de Grenoble. Organisés de 1971 à 2014, ils marquèrent l’histoire du cyclisme des années 70 et 80 en consacrant les plus grands champions de l’époque. Eddy Merckx y gagna deux fois, tout comme son rival, Bernard Thévenet. A l’époque, les coureurs squattaient les sous-sols du stade pour tenter d’y trouver un peu de repos, avant de revenir au cœur de l’enceinte à la nuit tombée pour s’y livrer jusqu’à l’épuisement, dans une ambiance d’arène.
Ravagé par un incendie en 1985 puis victime de l’évolution du cyclisme, le Palais des Sports perdit de sa superbe, et les Six Jours de Grenoble, réduits à quatre puis à trois nuitées, n’en eurent bientôt plus que le nom. Lorsqu’en 2014, la Ville de Grenoble confisqua la gestion de l’enceinte à son association historique, elle scella la chute de l’évènement et acta sa disparition. Huit ans plus tard, l’abandon de la piste, non homologuée par l’UCI, nourrit des velléités de déconstruction.
Les Six Jours de Grenoble, victimes politiques
« Les 6 Jours de Grenoble, c’est la mythologie du vélo des années 80. Les grands champions venaient mais aujourd’hui, il n’y a plus personne. Même les amoureux de vélo ne peuvent pas me citer un champion présent sur ces trois jours. ». Ces mots sont ceux d’Eric Piolle, édile de la commune de Grenoble, au début de son premier mandat municipal, en 2014. Succédant au socialiste Michel Destot, cet écologiste s’était radicalement emparé de la gestion du Palais des Sports de Grenoble, en rompant brusquement la convention d’occupation du domaine public qui confiait à « l’AS Palais des Sports » l’exploitation de l’édifice éponyme. Mue par le désir d’y multiplier les concerts et leur affluence au détriment des évènements sportifs, cette toute nouvelle régie directe exclut les Six Jours de leur arène, au même titre que le Festival International du Cirque ou le Supercross International de Moto.
Ces bouleversements politiques auront donc eu raison de Nacer Bouhanni, Thomas Boudat, Grégory Baugé ou François Pervis, têtes d’affiche de la dernière édition des Six Jours de Grenoble. Estomaqué par le mépris assumé d’Eric Piolle à leur égard, le dernier lui répondait alors « Je suis choqué d’entendre de tels propos. Les 6 Jours de Grenoble, c’est une course mythique, un vrai monument dans le paysage du cyclisme français. ». Guy Chanal, gestionnaire de l’enceinte depuis 1990, n’en était pas moins circonspect face à la mort brutale de l’épreuve qu’il chérissait. Et si le Festival du Cirque et le Supercross ont récemment fait leur retour au Palais des Sports après quelques années d’exil, les Six Jours semblent définitivement condamnés. Dès lors, la piste se retrouvait dénuée d’utilité.
Privée des Six Jours de Grenoble, la piste perd son essence et court à sa perte
Des Six Jours de Grenoble au grand public
Longue de 210 mètres, non homologuée par l’Union Cycliste Internationale, la piste du Palais des Sports ne Grenoble ne revêtait un intérêt compétitif que dans le cadre des Six Jours de Grenoble. Désormais, il lui est impossible d’attirer à elle les plus grandes étoiles de la piste en recevant une manche de l’UCI Track Champions League ou en accueillant occasionnellement des championnats continentaux ou mondiaux.
Mais en se détournant des athlètes, la piste des « Six Jours de Grenoble » a néanmoins tendu les bras au grand public, qui en était exclu depuis 1990. En effet, quelques mois après la reprise en régie du Palais des Sports de Grenoble par la Ville, l’association Entente Isère Piste s’associait à la municipalité pour « permettre aux écoles de cyclisme, aux clubs, aux scolaires, aux pratiquants en loisirs, aux étudiants, aux débutants, aux entreprises de venir » en profiter. Cette initiative est d’autant plus intéressante qu’elle tend à briser le rideau de fer qui barricade l’accès à la pratique du cyclisme sur piste en vélodrome couvert.
La piste du Palais des Sports bientôt dépassée par le vélodrome de Haute-Savoie
Mais cette raison n’est visiblement pas suffisante au maintien de la piste. En premier lieu, l’attribution de l’organisation des mondiaux 2027 à la Haute-Savoie s’accompagnait de la construction d’un vélodrome fermé dans le département, afin de palier à une lacune affectant la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Une fois sorti de terre, il s’attirera naturellement toutes les épreuves régionales, marginalisant d’autant plus la piste des Six Jours de Grenoble, si ce n’est pas déjà suffisamment le cas.
Et si la démolition de cette piste mythique n’est pas encore définitivement actée, ce projet est bel et bien admis par la municipalité de Grenoble. A cet égard, Maxence Alloto, adjoint en charge de l’économie locale, explique « La piste du vélodrome est un sujet très important pour nous. Malheureusement, aujourd’hui, elle n’a plus d’utilité d’usage et on le regrette. On espère qu’elle pourra retrouver un usage. On travaille à cela. Si, demain, un événement populaire peut y être organisé, nous maintiendrons cette piste. En revanche, si demain il n’y a pas d’usage sur cette piste, la maintenir a moins d’intérêt, même si on y est attachée ». Etant donnée la situation, cette seconde option apparaît donc la plus probable…
Vague d’émoi dans le monde du cyclisme
Ces sérieuses rumeurs n’ont pas manqué de faire réagir moultes sportifs de renoms, attristés par la disparition de ce morceau d’histoire, de l’histoire de leur sport à leur histoire personnelle. En premier lieu, François Pervis, déjà critique lors de la disparition des Six Jours de Grenoble, s’est à nouveau insurgé contre la politique menée par Eric Piolle, au même titre que l’ancien président de la Fédération Française de Cyclisme (FFC), Daniel Baal.
Ce n’est pas un maire écolo à Grenoble qui met pourtant des pistes cyclables partout? Il n’a visiblement pas compris les atout d’un tel outil dans sa ville. Le détruire va clairement à l’encontre de sa politique…
— François Pervis (@FrancoisPervis) November 11, 2022
A France 3 Régions Auvergne-Rhône-Alpes, Jean-Claude Colotti, double vainqueur des Six Jours (1991 et 1994), confessait sa tristesse inhérente à la démolition du lieu de ses triomphes, « Si cette piste venait à être détruite, je ressentirais une partie de mon palmarès qui part avec », même s’il reconnaissait la nécessité de ne pas s’entêter à son égard. Du côté des sports d’hiver, le biathlète isérois Emilien Jacquelin et l’ex-skieur professionnel, Julien Lizeroux, partageait tous deux le deuil de leurs souvenirs de spectateurs.
Ainsi, une pétition a été lancée par Daniel Baal à l’encontre de la destruction de la piste des Six Jours de Grenoble. Notamment relayée par Marie Le Net (FDJ – Suez – Futuroscope), elle comptait ce jeudi plus de 3 000 signatures. Si ses motifs ont peu de chance d’aboutir, chacune des signatures qu’elle reçoit témoigne de l’attachement du public à l’égard de la piste du Palais des Sports, donnant un peu plus tort aux propos d’Éric Piolle.