Nous ne sommes pas le 16 avril, jour de l’anniversaire de la reine du Danemark Margrethe II, durant lequel les Danois défilent, drapeaux en main, près du cortège royal. Nous ne sommes pas non plus le 5 juin, jour de fête nationale, au cours de laquelle les Danois célèbrent leur monarchie constitutionnelle, établie dans la constitution de 1849. Nous sommes le 17 septembre, jour de coutume anodin dans le quotidien des Copenhagois, et pourtant l’engouement n’est pas moindre et la fierté est palpable. Les habitants de la ville s’apprêtent à fêter dès lundi un autre élément du patrimoine de la ville, moins prestigieux que la reine, la constitution de 1849 ou la petite sirène, mais tout aussi populaire et ancré dans leur quotidien : la bicyclette.
A Copenhague, ville hôte des Championnats du Monde 2011, la petite reine s’est imposée au cours des dernières décennies comme l’un des principaux moyens de transport de la ville, aujourd’hui complètement intégrée dans le mode de vie des habitants. Ainsi, chaque jour, près d’1,2 million de kilomètres sont parcourus à vélo par l’ensemble des Copenhagois et 37 % d’entre eux se rendent quotidiennement au travail ou à l’école en bicyclette (cette proportion dépasse les 50 % si l’on considère seulement les habitants de la municipalité de Copenhague). Une utilisation intensive du vélo, favorisée par des politiques de transport public très actives. Ainsi, les 10 à 20 millions de dollars investis chaque année par la ville dans l’amélioration d’un réseau de pistes cyclables qui s’étend déjà sur plus de 350 kilomètres, ou dans la sécurisation des infrastructures cyclistes, ont fait du vélo le moyen de locomotion le plus commun de ses habitants.
« Aujourd’hui, le vélo est devenu un élément à part entière de la culture danoise », affirme Frits Bredal, président de la Fédération Danoise des Cyclistes, qui s’occupe de promouvoir l’utilisation quotidienne de la bicyclette au Danemark et à l’étranger. Il ajoute : « et si vous demandez aux gens pourquoi ils utilisent leur vélo, ils ne vous diront pas qu’ils le font pour des préoccupations environnementales ou pour faire du sport, mais bien parce que c’est le moyen le plus rapide et pratique pour se déplacer dans la ville. »
La raison à cela est à chercher au début des années 1970. Alors que le développement économique de la ville lors des Trente Glorieuses a fait quasiment disparaître des rues les cyclistes, les forts embouteillages ainsi qu’une pénurie d’essence, due au choc pétrolier de 1973, sont à l’origine d’un changement radical dans la politique de transport public. Très vite, les instances municipales imposent des « car-free Sunday » afin d’encourager la décongestion de la ville. Les habitants de Copenhague, dans l’incapacité d’utiliser leur voiture, demandent dès lors en contrepartie plus d’infrastructures pour les vélos. Le processus de développement de la bicyclette comme moyen de transport quotidien est alors enclenché.
Mais celui-ci n’aurait pas été possible sans une autre caractéristique de la culture danoise, celle du dialogue avec la société civile. En effet, si une telle ligne politique a pu être mise en place ici plutôt que dans d’autres grandes villes européennes c’est en grande partie grâce au pouvoir de négociation de la Fédération Danoise des Cyclistes. « Cette organisation s’est formée il y a plus de 100 ans maintenant (en l’occurrence en 1905) à une époque de conflit entre les piétons, les cavaliers et les cyclistes dans les rues des grandes villes. Dès lors, elle n’a cessé de défendre les intérêts des cyclistes, explique Frits Bredal. Dans les années 1970 nous étions dans une période faste pour la fédération, avec de plus en plus de membres militant pour la promotion du vélo face à l’automobile. »
Fermer le centre-ville d’une grande métropole : une première et un symbole.
Depuis, la ville n’a eu de cesse de développer et améliorer ses infrastructures cyclistes. Au début des années 1990, le premier réseau au monde de routes exclusivement réservées aux cyclistes y a été construit, et en 1995 la ville a lancé le concept de vélo urbain en libre-service, avec la création du « Bycyklen ». Ainsi, ce n’est pas un hasard si le 1er mai 2007, la capitale danoise a été la première ville à se voir attribuer le sésame de UCI Bike City par l’Union Cycliste Internationale. « Ce programme tourne autour d’un concept inventé par l’UCI et Copenhague, censé promouvoir des villes s’engageant dans le vélo, en leur permettant d’organiser un certain nombre d’événements cyclistes de l’UCI, détaille Martin Bender, directeur du programme UCI Bike City. Pour l’UCI, l’objectif est d’utiliser la popularité du vélo dans la ville pour attirer l’attention sur des événements moins importants comme les manches de Coupe de Monde de BMX par exemple, alors que pour Copenhague le principal intérêt était la perspective d’organiser les Championnats du Monde sur route 2011, permettant une exposition médiatique mondiale sur la culture vélo de notre ville. »
Ainsi, depuis 2007, la capitale danoise a organisé deux manches de la Coupe du Monde de BMX en 2008 et 2009, deux manches de la Coupe de Monde de cyclisme sur piste lors des saisons 2007-2008 et 2008-2009, puis le Championnat du Monde de cyclisme sur piste en 2010. Les liens étroits tissés avec l’institution genevoise auront également permis la tenue du Championnat du Monde de BMX dans la ville l’été dernier. Et si ces derniers ont été un vrai succès populaire, attirant près de 20 000 personnes sur cinq jours de compétition, l’organisation des Championnats du Monde sur route reste l’aboutissement du projet et les membres des instances cyclistes danoises fondent beaucoup d’espoir en l’événement.
Plus de 800 journalistes internationaux et entre 30 000 et 50 000 touristes sont attendus pour l’occasion, dans l’espoir de donner au monde entier l’image d’une cité durable et agréable, où le vélo fait partie du quotidien des habitants. Pour Martin Bender, « les grands événements sont l’occasion de raconter différentes formes d’histoires. Les Championnats du Monde permettront de raconter Copenhague comme la ville du vélo. Fermer le centre-ville d’une grande métropole, pour la première fois de l’histoire des Championnats du Monde (le départ et l’arrivée du contre-la-montre seront donnés dans le centre-ville et 70 rues seront fermées tout au long de la semaine), est comme un symbole portant le message : nous fermons la ville car nous adorons le vélo ». Cet événement sera aussi l’occasion de promouvoir l’usage quotidien de la bicyclette, en marge des compétitions sportives. Ainsi le festival du vélo, où seront organisés de nombreuses activités ludiques sur deux roues ainsi que des concerts de rock, devrait attirer de nombreuses familles. Le défilé de vélos, qui aura lieu mardi soir sur le parcours du contre-la-montre, devrait être une véritable fête populaire.
Et malgré les nombreuses contraintes qui pèseront sur leur quotidien l’espace d’une semaine, les habitants de la ville devraient se masser au bord des routes, puisque 400 000 spectateurs au total sont attendus tout au long des six jours de compétition, dont 250 000 pour les seules courses en ligne de samedi et dimanche. Car en plus d’utiliser leur vélo au quotidien, les Danois sont aussi des grands amateurs de courses cyclistes. L’Union Cycliste Danoise, qui ne cesse d’attirer de nouveaux licenciés depuis une dizaine d’années, compte aujourd’hui 12 000 membres pour un pays de 5 millions d’habitants, et « Copenhague est la métropole d’Europe où il existe la plus forte proportion de personnes regardant le Tour de France », explique Martin Bender.
Et si la blessure de Matti Breschel ainsi que la récente suspension d’Alex Rasmussen ont compromis les chances de médailles potentielles chez les Elites, les Danois comptent sur les exploits de leurs jeunes pousses pour rendre la fête encore plus belle. « Nous espérons remporter environ deux médailles, explique Kenneth Møller Christensen, chef du service presse de l’Union Cycliste Danoise. Nous fondons beaucoup d’espoirs dans nos Juniors et Espoirs garçons. » Rasmus Quaade, déjà champion du Danemark du contre-la-montre alors qu’il est toujours Espoir, Christopher Juul Jansen, récent vainqueur d’une manche de la Coupe des Nations, ou encore Rasmus Guldhammer, très à son aise sur les courses d’un jour, pourraient briller à domicile, annonçant des jours dorés pour le cyclisme danois. Mais pour le moment restons dans le présent. Avant de se chercher de nouveaux rois, les Copenhagois célèbrent leur petite reine. – Sylvain Chanzy, à Copenhague