Toute la semaine, notre consultant Nicolas Fritsch nous apporte en cinq épisodes son analyse sur l’intérêt du Tour de France 2016.
« Repartons sur le postulat initial : le Tour de France 2016 était-il ennuyeux ? Plusieurs leviers peuvent être actionnés pour modifier la donne, en prenant toutefois garde à ne pas dénaturer un sport qui s’est bâti sur les exploits surhumains de nos prédécesseurs au début du XXème siècle, et dont la légende perdure grâce au courage dont ont su faire preuve depuis tous ceux ayant épinglé un dossard. Cette image du coureur qui souffre a permis au cyclisme de traverser toutes les tempêtes qui l’ont fortement ébranlé sans jamais pouvoir le couler. Je pense évidemment aux différents scandales liés au dopage qui ont jalonné son histoire.
C’est d’ailleurs pourquoi j’estime qu’il faut manier avec précaution les protocoles mis en place récemment en cas de conditions météorologiques particulières. Il s’agit bien évidemment d’assurer en priorité la sécurité des coureurs, mais attention toutefois à ne pas aseptiser un sport marqué du sceau de la souffrance et de l’extrême, un sport que j’ai toujours vu comme l’association du demi-fond et de la course au large, où la performance physiologique se mêle à l’aventure ! Il faut donc trouver le juste équilibre, car, à l’autre opposé, proposer un spectacle ne doit pas non plus signifier surenchérir alors même que la lutte antidopage est, et à juste titre, au centre des préoccupations.
Le premier levier auquel je pense concerne le parcours. Celui qu’ASO nous a proposé cette année devait permettre de préserver le suspense jusqu’à l’arrivée du samedi à Morzine. Un souhait cher à Christian Prudhomme. Sauf que… à trop vouloir concentrer les difficultés sur la fin, et surtout à trop vouloir communiquer dessus et survendre cet argument, les coureurs et les directeurs sportifs, bien malins et pas sourds, se sont adaptés en faisant preuve d’une prudence excessive durant les deux premières semaines, escamotant ainsi totalement le massif pyrénéen. Ce n’est que mon avis bien sûr, et j’ai bien conscience que le Tour doit également se plier à d’autres contraintes financières et politiques, mais il me semblerait plus judicieux de répartir les difficultés et les pièges de manière plus harmonieuse sur l’ensemble des trois semaines.
J’imagine ainsi une étape avec des secteurs pavés, quelques chemins par-ci par-là, un tour dans les Ardennes, belges ou françaises, un itinéraire longeant une côte ventée et escarpée. Autant d’obstacles destinés à créer une incertitude quotidienne, ou presque, car il faut tout de même assurer quelques sprints.
Quant aux différents massifs, je ne suis pas pour y séjourner quatre jours consécutifs. Tout simplement parce que cela n’incite pas les coureurs à y être offensifs par crainte de ne pas pouvoir récupérer et de payer chèrement leurs velléités. Il ne faut pas oublier que l’on récupère probablement moins bien aujourd’hui qu’à une certaine époque… Deux jours dans les Pyrénées, deux dans les Alpes, un dans le massif Central et un ou deux dans le Jura ou les Vosges, sans oublier le Mont Ventoux… soit une bonne semaine de montagne, c’est déjà très bien !
Il est souvent question de la distance des étapes, et il me semble effectivement plus judicieux, pour qui souhaite du spectacle, d’aller dans le sens actuel de la réduction. Des étapes dont la durée est d’environ quatre heures à quatre heures et demie ne font pas peur à des coureurs qui peuvent alors s’y jeter sans arrière-pensées, et ce dès les premiers hectomètres. C’est la distance plus que l’intensité qui use les organismes et entraîne une profonde fatigue, physique et mentale.
Attention, comme je l’ai évoqué plus haut, il ne faut toutefois pas enlever au cyclisme ce qui fait de lui un sport légendaire. Il suffit de regarder ce que cherchent les cyclosportifs : du mythe, de la difficulté, des heures de selle et de souffrance. Jusqu’à se plaindre de ne pas pouvoir gravir la Ramaz lors de l’Etape du Tour qui leur est réservée, parce que ce n’était plus vraiment une étape du Tour ! De quoi aurait alors l’air à leurs yeux un Tour dont les étapes de montagne seraient plus courtes et plus faciles que les cyclosportives qu’eux-mêmes sont capables de parcourir ? Il faut donc également proposer, de temps à autres, avec parcimonie et respect pour les coureurs, de très grosses étapes, dont certaines en montagne, destinées à marquer les esprits autant que les corps. Cela créerait également une grande attente, ce serait un jour spécial, rare !
Je me régalerais d’un week-end dont le samedi serait consacré à une étape courte avec une simple montée sèche, intense et spectaculaire, dans une sorte de prologue à un dimanche sous forme de raid montagnard de 250 kilomètres et 5000 mètres de dénivelé ! Cela aurait de la gueule ! Et pour ne pas entrer en conflit avec nos principes, le lundi serait évidemment consacré à un repos bien mérité.
Question légende, j’avoue ne pas comprendre la tendance actuelle à minimiser l’importance des chronos. C’est nier l’histoire de notre sport. C’est ne pas respecter nos plus grands champions passés. Il me paraît indispensable de faire réapparaitre un gros chrono « à l’ancienne » de 60 kilomètres, plutôt plat, destiné aux vrais rouleurs, aérodynamiquement posés sur les magnifiques montures : quelle image moderne pour un cyclisme parfois vu comme un sport ringard ! Autant pour les remettre dans la course car je les trouve désavantagés, que pour inciter les grimpeurs à attaquer avant en sachant qu’ils vont y perdre du temps, ou après pour rattraper celui perdu !
Après tout, le Tour doit consacrer un coureur complet, et pas nécessairement le meilleur grimpeur !
Pour conclure, et pour en revenir au spectacle, mais plus pour les spectateurs que les téléspectateurs cette fois, mais également pour les collectivités locales et le business d’une région, je pense qu’il serait bon de finir par un à deux tours de circuit. Les coureurs partent aujourd’hui très vite des arrivées, qui plus est maintenant inaccessibles au quidam, et il y a finalement de quoi être frustré pour qui a attendu toute la journée de ne voir les coureurs que dix secondes ! Il existe le « village départ », alors pourquoi pas le « village arrivée » ! »