De la pluie, des chutes, des coureurs blessés dans leur chair, éparpillés, livrés à eux-mêmes, cette deuxième étape tracée à travers les routes escarpées des Ardennes belges a fait mentir ceux qui pensaient que seules les étapes de montagne inspiraient la légende. Tout commence au km 11. Sept coureurs, parmi lesquels un seul Belge, partent à la conquête des premières côtes du Tour de France 2010. Les équipes d’Outre-Quiévrain sont, en revanche, fort bien représentées à domicile. Jurgen Roelandts, Matthew Lloyd pour le compte d’Oméga Pharma-Lotto, Sylvain Chavanel, Jérôme Pineau représentent la Quick Step, mais dans l’échappée on trouve aussi le bouillonnant estonien Rein Taaramae (Cofidis), le colosse allemand Marcus Burghardt (BMC), le Français Sébastien Turgot (Bbox Bouygues Télécom) et Francesco Gavazzi (Lampre-Farnese Vini). Dans les aspérités, le groupe s’anime pour le gain du maillot à pois. Jusque là, c’est le schéma classique.
Mais la campagne pour le maillot à pois ne durera pas. Les Saxo Bank veulent faire la course. Par l’intermédiaire de Stuart O’Grady (Saxo Bank), l’équipe danoise prend la course à son compte et donne un sacré coup de vis. Il reste 45 kilomètres avant l’arrivée, et le peloton roule déjà en file indienne. Au pied de la côte d’Aisomont, l’écart n’est plus que de 52 secondes. Turgot et Lloyd perdent pied. Dans la descente, le groupe finit de se désolidariser. Roelandts lâche ses compagnons et s’élance seul vers Stockeu, poursuivi par Sylvain Chavanel, libéré du rôle de poisson-pilote de Jérôme Pineau pour le prix de la montagne. Le Nantais a réalisé la bonne opération du jour en accumulant un capital de points nécéssaire pour se parer du maillot de meilleur grimpeur. Comme prévu, les sprinteurs payent le prix fort. Dans un peloton aux visages cinglés par la pluie, les gabarits lourds lâchent prise. Dans ces pourcentages qu’il connaît par coeur, Maxime Monfort (HTC-Columbia) sort du peloton et part à la recherche de Chavanel et Roelandts, en laissant, un à un sur son passage, les résidus de l’échappée. Parmi eux, Francesco Gavazzi. Le sursis du Transalpin est de courte durée. Dans un virage en dévers, il glisse. Sa chute présage le chaos que va traverser le peloton, quelques secondes plus tard, au même endroit.
Km 169, le peloton n’existe plus
La pluie tombée dans cette partie ombragée de la descente a transformé la route en toboggan. Et soudain, en une seconde, une grande partie du peloton s’affale sur la chaussée. Dans les fossés, on distingue les silhouettes d’hommes importants. Petacchi (Lampre Vini Farnese), en colère, a son maillot déchiré, Pineau tape sur son guidon pour repartir, De la Fuente (Astana) peine à se relever. Et soudain, au milieu de ce capharnaüm, le visage juvénile d’Andy Schleck déformé par la douleur. Le Luxembourgeois se tient l’avant-bras gauche et cherche désespérément un vélo pour repartir. Dans la panique, Breschel (Saxo Bank) fait don du sien. Livré à lui-même, Schleck entame seul une remontée désespérée. Dans son infortune, il retrouve son frère, qui a touché terre lui aussi. Les coudes en sang, les visages grimaçants, la fratrie est touchée dans sa chair. Armstrong lui aussi est tombé. Tracté par un équipier, il chasse, un peu plus haut, en compagnie de son rival Contador, maillot souillé. Ce groupe d’une dizaine d’hommes est pointé à 1’10 du groupe Cancellara. Les Schleck sont à deux minutes.
L’hésitation s’empare alors des quelques survivants : faut-il faire la course ou attendre les malchanceux ? Les Cervélo ne se posent pas la question. Hunt (Cervélo) embraye et emmène avec lui la soixantaine de coureurs qui est passée au travers des chutes. La victoire est en jeu. Le Tour aussi. Alors, Cancellara se sert du pouvoir que lui confère le grade du Maillot Jaune pour négocier l’abandon de la poursuite et ne pas enterrer ses deux coéquipiers. Dans le brouillard des Ardennes, Voigt, redescendu pour repêcher les frères Schleck, se sacrifie pour réduire le déficit des Luxembourgeois, pieds et poings liés par la malchance. Leurs efforts conjugués leur permettent de revenir dans un peloton refroidi par la chute. Devant, dès les premiers contreforts de la côte du Rosier, à 18km de l’arrivée, Chavanel ne laisse aucun espoir à Roelandts et s’envole vers le coup parfait : la victoire et le Maillot Jaune. Mâchoire serrée, le Français taille la route dans la ferveur populaire qui traverse la Belgique. Pour la première fois de la journée, le soleil perce les nuages pour saluer la performance de Chavanel, vainqueur avec 3’56 d’avance sur un peloton passif.
La fronde du peloton
Car, pendant que Chavanel se démenait, derrière, des négociations ont eu lieu, sous le manteau. C’est plus qu’un armistice qui est signé entre les cadors du peloton, c’est une neutralisation. Il n’y aura pas de chasse derrière l’homme de tête. Le peloton entre dans Spa en occupant toute la largeur de la route. Pas de sprint mais les huées des spectateurs destinées à Fabian Cancellara, chef d’orchestre du mouvement de protestation. Au général, les incidents de l’étape ardennaise donnent à Sylvain Chavanel près de trois minutes d’avance sur Fabian Cancellara. La parodie finale n’enlève rien au mérite du Français. S’il a bénéficié des conditions de courses, le Poitevin, convalescent, a montré qu’il avait fait preuve d’une grande force physique dans le final et d’une grande force mentale pour croire en une possible participation à ce Tour de France après la terrible chute qui l’avait frappé dans le final de Liège-Bastogne-Liège, en avril dernier. Vainqueur d’étape, Maillot Jaune et maillot Vert à Spa, la perle des Ardennes aujourd’hui, c’est bien lui.
Classement 2ème étape :
1. Sylvain Chavanel (FRA, Quick Step) les 201km en 4h40’48 »
2. Maxime Bouet (FRA, Ag2r La Mondiale) à 3’56 »
3. Fabian Wegmann (ALL, Milram) m.t
4. Robbie McEwen (AUS, Katusha) m.t
5. Christian Knees (ALL, Milram) m.t
6. Jurgen Roelandts (BEL, Omega Pharma-Lotto) m.t
7. Thor Hushovd (NOR, Cervélo) m.t
8. Linus Gerdemann (ALL, Milram) m.t
9. Matthieu Ladagnous (FRA, Français des Jeux) m.t
10.Bernhard Eisel (AUT, HTC-Columbia) m.t
Classement complet
Classement général :
1. Sylvain Chavanel (FRA, Quick Step)
2. Fabien Cancellara (SUI, Saxo Bank) à 2’57 »
3. Tony Martin (ALL, HTC-Columbia) à 3’07 »
4. David Millar (GBR, Garmin-Transitions) à 3’17 »
5. Lance Armstrong (USA, RadioShack) à 3’19 »
6. Geraint Thomas (GBR, Team Sky) à 3’20 »
7. Alberto Contador (ESP, Astana) à 3’24 »
8. Levi Leipheimer (USA, Astana) à 3’25 »
9. Edvald Boassen Hagen (NOR, Team Sky) à 3’29 »
10.Linus Gerdemann (ALL, Milram) à 3’32 »