Il a enfilé l’étoffe sacrée avec soin, comme pour mieux apprécier ce moment unique dans la vie d’un champion. La manche gauche d’abord, la droite ensuite, avant que le maillot ne glisse le long de son torse, l’enveloppant comme la deuxième peau qui sera sienne pendant un an. Et puis il a contemplé sa poitrine ceinte des cinq bandes de l’arc-en-ciel et il a acquiescé pour signifier que cette tunique sur ses épaules, elle avait fière allure. A Geelong, et au bout d’une course d’une grande intensité, Thor Hushovd est devenu champion du monde. Du circuit australien, on avait tout dit, tout imaginé aussi, mais le scénario qu’il nous aura été donné de vivre en ce dimanche après-midi ne pouvait être plus captivant, car époustouflant d’intensité dans ses deux dernières heures et empreint d’indécision jusque dans les derniers mètres.
Ces Championnats du Monde 2010 possèdent deux particularités nouvelles. D’abord, un tronçon en ligne reliant Melbourne au circuit de Geelong doit être parcouru sur la distance de 82,3 kilomètres. Cette originalité permet à cinq joyeux drilles de prendre part à la très longue échappée matinale qui viendra casser la monotonie d’une course appelée à se jouer tardivement. N’ayant aucune chance de peser sur le final, Matthew Brammeier (Irlande), Mohammed-Saïd Elammoury (Maroc), Oleksandr Kvachuk (Ukraine), Jackson Rodriguez (Venezuela) et Diego-Alejandro Tamayo (Colombie) choisissent de marquer ces Mondiaux par leur présence aux avant-postes de bon matin. Le peloton ne s’en fait guère, il les reverra, et leur accorde plus de 21’30 » d’avance avant l’entrée sur le circuit d’arrivée, un tracé de 15,9 kilomètres à parcourir onze fois et présentant deux bosses situées à mi-parcours mais d’interminables bouts droits jusqu’à la ligne d’arrivée.
La seconde particularité de ces Mondiaux à l’autre bout du monde, c’est l’abolition des oreillettes. La course va présenter un visage humain. Sans l’apport des émetteurs, le physique sera primordial, le sens tactique capital. Et la tactique, justement, elle entre en ligne de compte à un peu plus de cinq tours de l’arrivée. On l’a répété, le circuit de Geelong peut échapper au sprint massif pour lequel on le prédestinait, mais à la condition de durcir la course de bonne heure. L’équipe d’Italie l’a bien compris et elle prend donc ses responsabilités à 90 kilomètres du but. Une mèche est allumée dans la sixième ascension du Mount Pleasant (1000 mètres à 7,5 %). Cinq coureurs de la squadra azzura se propulsent aux avant-postes, Gavazzi, Nibali, Pozzato, Tosatto et Visconti et avec eux ce sont les principaux favoris qui se découvrent.
Un sublime démarrage porte Philippe Gilbert seul en tête dans les 10 derniers kilomètres.
Loin du terme de l’épreuve, trente-deux coureurs se dégagent. Philippe Gilbert est là, Cadel Evans aussi, et l’on retrouve avec eux les Belges Hoste, Roelandts et Van Avermaet, les Allemands Greipel, Martin et Wegmann, les Espagnols Barredo, Plaza et Zubeldia, les Hollandais Boom, Moerenhout et Poels, les Australiens Gerrans et O’Grady, les Suisses Albasini et Morabito, les Russes Brutt et Trofimov et des nations isolées : la France (Offredo), la Colombie (Serpa), le Danemark (Sörensen), les Etats-Unis (Van Garderen), l’Irlande (Roche), la Norvège (Boasson-Hagen) et la Slovénie (Stangelj). La course marque un premier tournant et le petit paquet s’empresse de coopérer, portant rapidement son avantage à 1’25 » sur le peloton qui se désintègre progressivement et à la tête duquel roule notamment l’équipe d’Espagne, vexée de n’avoir pas pu placer ses leaders à l’avant. Pendant ce temps, l’échappée matinale vit ses dernières minutes. L’Ukrainien Oleksandr Kvachuk sera le dernier à se rendre à 45 kilomètres de l’arrivée.
Une première sélection semble donc avoir été faite mais il convient d’insister encore dans les derniers tours de circuit. De nouveau, l’équipe d’Italie bouscule la course, par le biais de Nibali et Visconti cette fois, auxquels ne répondent que Moerenhout, Serpa et Sörensen. L’imposant groupe de tête fragilisé, il devient une proie facile pour le peloton, tout du moins ce qu’il en reste, et c’est finalement un regroupement général auquel on va assister à 25 kilomètres de l’arrivée. Tout est à refaire mais l’assaut des favoris n’aura pas été vain car la course a bel et bien été durcie et il ne reste plus que quarante coureurs en tête à l’entame du dernier tour de circuit. Le moment est venu pour les puncheurs de griller leur dernière cartouche. Et le super favori qu’est Philippe Gilbert, après une tentative avortée à 20 kilomètres du but, va marquer les esprits. Le peloton franchit le Mount Pleasant pour la dernière fois lorsque le Belge place un démarrage foudroyant. Il est certain que si la ligne d’arrivée avait été tracée au sommet de la côte, le Wallon aurait été imbattable. Seulement voilà, il reste 9 kilomètres à accomplir depuis le haut de la bosse jusqu’à la ligne d’arrivée, et l’interminable ligne droite qui ramène les coureurs sur le front de mer est une offense aux attaquants. Même avec les 20 secondes d’avance qu’est parvenu à obtenir Philippe Gilbert à la faveur de son sublime démarrage. S’il l’avait fait à Paris-Tours, il ne le fera pas à Geelong.
Momentanément pris en chasse par un groupe composé à nouveau de Cadel Evans, Philippe Gilbert doit accepter son sort à 3 kilomètres du but. La route était décidément trop longue vers la ligne blanche. Et c’est un groupe réduit à une vingtaine d’unités qui s’achemine vers le dernier kilomètre, avec à son bord les rapides Freire, Hushovd, Bole, Davis, Pozzato… et Romain Feillu, qui aura bel et bien été capable d’accompagner le peloton des tout meilleurs jusqu’au bout. Il en avait la conviction, il nous l’a démontré, et il ira chercher en Australie la 10ème place au sprint. Et de la vingtaine de coureurs qui déboule dans le faux-plat final, le Norvégien Thor Hushovd jaillit sur la gauche de la chaussée, remontant l’entreprenant Matti Breschel et le local Allan Davis. A 32 ans, le spécialiste des classiques du nord s’impose en colosse qu’il est à l’issue d’une épreuve fantastique qu’il aura su gérer à la perfection. C’est ça aussi, un champion du monde.
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Classement :
1. Thor Hushovd (Norvège) les 257,2 km en 6h21’49 » (40,4 km/h)
2. Matti Breschel (Danemark) m.t.
3. Allan Davis (Australie) m.t.
4. Filippo Pozzato (Italie) m.t.
5. Greg Van Avermaet (Belgique) m.t.
6. Oscar Freire (Espagne) m.t.
7. Alexandr Kolobnev (Russie) m.t.
8. Assan Bazayev (Kazakhstan) m.t.
9. Yukiya Arashiro (Japon) m.t.
10. Romain Feillu (France) m.t.