« Pour moi, c’est encore le tout début de saison. A la mi-octobre, j’étais engagé au Grand Prix de l’Humanité à Bordeaux pour ensuite participer aux Six Jours de Grenoble. Entre-temps, nous, sociétaires de l’INSEP, étions en stage à Hyères. Ca peut paraître étonnant mais nous sommes obligés de compléter notre entraînement sur un vélodrome de distance olympique. La piste parisienne est trop petite. On ne peut pas monter les braquets de course, les virages sont trop serrés, arrivent trop vite, du coup il nous est impossible d’atteindre les vitesses voulues. On prévoit donc des stages sur un anneau de 250 mètres afin de reprendre nos repères. Et même si ces Championnats d’Europe arrivent tôt dans la saison, il faut les prendre très au sérieux. Nous devons y marquer des points en vue de la qualification pour les Jeux Olympiques de Londres 2012. Il est très important de bien faire en vitesse par équipe.
Ce sont les tout premiers Championnats d’Europe Elites avec un programme identique à celui de Londres. J’y suis engagé dans l’épreuve du keirin, de la vitesse individuelle et de la vitesse par équipes, durant laquelle je remplace Grégory Baugé, le démarreur officiel. Il faut savoir que d’ordinaire, afin de sélectionner les trois meilleurs Français possibles, Florian Rousseau et Benoît Vêtu, nos deux entraîneurs nationaux, se réunissent en compagnie du bureau de la Direction Technique Nationale. Ils analysent les résultats des tests préalablement effectués, c’est-à-dire un sprint départ arrêté et un sprint lancé. Ensuite, les trois coureurs choisis effectuent un travail spécifique. Il faut être très pointilleux, surtout lors du départ qui est le moment le plus important, un peu comme le kilomètre d’ailleurs, ma spécialité. En revanche, à la suite de la suppression de cette dernière aux prochaines olympiades, je n’ai pas hésité à me spécialiser dans le keirin, dont je suis vice-champion du monde sortant. Les sprints longs me conviennent bien.
Aujourd’hui, deux mois et demi après être rentré du Japon, je prends conscience de la grandeur de l’expérience humaine vécue là-bas. Alors évidemment, c’est très différent de chez nous et leur organisation sociale peut paraître militaire tellement ils sont ordonnés. Cependant, on y trouve un savoir-vivre hors du commun. Un vrai respect d’autrui et pourtant, lors d’une course de keirin, c’est tout autre chose. On peut avoir des contacts avec nos adversaires ou faire de grosses vagues parce que c’est tout simplement réglementaire. Ça peut paraître choquant mais cela fait partie du jeu.
Là-bas, j’étais seul au monde. Et en ce qui concerne les programmes d’entraînement, c’était moi qui les faisait. J’ai même oublié le chronomètre pendant six mois… Et puis, prendre des chronos sur une piste en ciment de 500 mètres avec des vélos en acier, non. Il valait mieux ne pas connaître les temps. J’avais une salle de musculation et un vélodrome à ma disposition que je devais partager avec les 200 coureurs de l’école de keirin. Alors, soit la météo me permettait d’aller rouler pendant mon créneau horaire, soit c’était du home-trainer. C’est certain que ce genre d’aventure vous endurcit. L’année prochaine, j’y retourne. J’ai signé un contrat de deux ans.
Comment un pistard se débrouille-t-il pour gagner sa vie ? D’abord, il faut comprendre qu’il nous est impossible de vivre de nos primes de courses versées par la FFC ou l’UCI, c’est trop peu. Si bien que depuis octobre 2008, c’est l’équipe Cofidis qui me verse un salaire, et ce jusqu’en décembre 2010. En effet, l’équipe sur route a besoin d’un gros leader afin de viser la montée en division ProTour et, par conséquent, le budget concédé aux pistards va être supprimé pour compléter celui de la route. Voilà pourquoi maintenant je suis à la recherche de sponsors privés. Mais vu la conjoncture actuelle, c’est très délicat. Il faut absolument que je trouve une solution. J’ai 26 ans et cela fait dix ans que j’ai la même chambre à l’internat de l’INSEP. Les instances fédérales nous aident mais pas suffisamment. Je paie une partie de l’INSEP et dernièrement j’ai appris que la fédération allait retirer toutes les primes versées aux prochains Championnats de France.
Quelquefois on me demande si j’aimerais tenter l’aventure dans une équipe professionnelle sur route. Oui, mais avant cela il faudrait que je roule des centaines de kilomètres par semaine, ce qui veut dire abandonner complètement la piste et ne plus pouvoir revenir en arrière. Le Néerlandais Theo Bos, après avoir été plusieurs fois champion du monde sur piste, l’a fait depuis deux saisons. Son parcours est remarquable, car sprinteur dans le final d’une course de 200 kilomètres n’a rien à voir avec les sprints de la piste.
Mon avenir s’annonce nuageux. Au 1er janvier 2011 je n’aurai plus de ressources. Il faut absolument que je trouve des sponsors : une ville, une collectivité, des entreprises, voire même une équipe sur route de DN1. Je m’entraîne une trentaine d’heures par semaine, c’est fantastique, mais l’argent c’est le nerf de la guerre. Je ne peux pas vivre d’amour et d’eau fraîche. En France, le cyclisme sur piste produit des champions du monde tous les ans, des champions olympique tous les quatre ans et malgré cela, on ne gagne pas notre vie. Je suis stupéfait de voir le salaire de certains routiers français. Surtout lorsqu’on s’attarde sur leurs résultats. Il y en a même qui travaillent sans entraîneur. Il y a des jours où je suis écœuré.
Au Royaume-Uni, c’est très simple. Dès lors qu’un coureur fait partie de l’équipe nationale de cyclisme sur piste, la fédération lui verse 50 000 euros à l’année. Cela élimine bon nombre de soucis du quotidien. L’équipe professionnelle de cyclisme sur route Sky s’investit également avec des pistards. La fédération anglaise a signé un partenariat avec la loterie nationale du pays, presque comme l’équipe de la Française des Jeux chez nous. Sauf que cette dernière n’est pas du tout intéressée par le cyclisme sur piste et préfère même miser sur des coureurs étrangers. On se demande si en France on ne refuse pas de professionnaliser certaines disciplines. Aujourd’hui, parallèlement à ma carrière de sportif de haut niveau – je suis étudiant en Licence STAPS Management des Organisations Sportives – j’arrive à regrouper mes heures de cours sur quelques jours par mois. Plus tard, si la FFC ne me propose pas de poste de reconversion, ce diplôme me sera utile pour exercer un vrai métier. »
Propos recueillis par Franco Cannella.