En surgissant seul dans la baie de San Sebastian, le peloton battu une quinzaine de secondes après lui, Adam Yates (Orica-GreenEdge) aurait pu prendre le temps de savourer la première grande victoire de sa jeune carrière. Au lieu de quoi l’Anglais de 22 ans a rejoint l’arrivée nonchalamment, coupant la ligne en roue libre sous la mitraille des photographes. Avant de consulter l’assemblée en pointant vers lui un index interrogateur visant à le confirmer dans le costume de lauréat. C’est que le final de la Clasica San Sebastian aura été si confus que l’homme de tête lui-même a fini par en perdre le fil, s’interrogeant jusqu’au bout sur la place qu’il occupait dans la course, incapable de discerner la moindre information dans son oreillette. Un vainqueur surpris, donc, mais en aucun cas une victoire surprise pour ce pur talent.
Depuis que le double enchaînement Jaizkibel-Arkale a été éloigné l’an passé de l’arrivée dans San Sebastian pour y insérer à 7 kilomètres du but le Bordako Tontorra, un raidard de 2,5 kilomètres à 9 %, la Clasica San Sebastian s’est transformée à son tour en course d’attente. Le plus clair de la journée, l’épreuve basque se sera disputée sous le contrôle étroit de l’équipe Movistar, qui n’aura jamais permis aux huit de tête de rêver, citons-là Valerio Agnoli (Astana), Manuele Boaro (Tinkoff-Saxo), Thomas Degand (IAM Cycling), Nathan Haas (Cannondale-Garmin), Romain Hardy (Cofidis), Luis Mas (Caja Rural-Seguros RGA), Dennis Vannendert (Lotto-Soudal) et Maarten Wynants (Team LottoNL-Jumbo). Une échappée matinale décomposée dans l’Alto de Jaizkibel, recomposée dans la vallée, avant que la seconde montée d’Arkale à 30 kilomètres du but ne redistribue les cartes pour de bon avec un regroupement général.
Ce sont neuf coureurs susceptibles d’aller au bout qui font alors un bond en avant à cet instant de la course : Damiano Caruso et Philippe Gilbert (BMC Racing Team), Julian Arredondo (Trek Factory Racing), Warren Barguil (Giant-Alpecin), Ryder Hesjedal (Cannondale-Garmin), Mikel Landa (Astana), Stéphane Rossetto (Cofidis), Pieter Serry (Etixx-Quick Step) et Egor Silin (Team Katusha). Le coup est jouable mais le peloton revient suffisamment près des coureurs de tête au bas de Bordako Tontorra pour avoir l’assurance de rentrer sur les éclaireurs bientôt disséminés sur les rampes noires de monde. Difficile, pour les coureurs du peloton qui se jettent à la poursuite des hommes de tête, de savoir précisément combien de coureurs évoluent devant eux au moment où s’ouvre la bataille entre coureurs explosifs.
Greg Van Avermaet est jeté dans le fossé, Adam Yates est privé d’information.
Sorti en forme du Tour de France et avec une victoire d’étape à Rodez, Greg Van Avermaet (BMC Racing Team) est le plus convaincant. L’attaque qu’il porte lui permet de prendre le leadership… mais un fait de course exceptionnel va entraver sa marche vers un nouveau succès d’envergure. 600 mètres avant la bascule, le Belge est projeté au sol après qu’un pilote moto ait perdu le contrôle de sa machine et accroché la roue arrière du coureur. Sans avoir vu le coup venir, Greg Van Avermaet est jeté dans le fossé tandis que la moto s’écrase sur sa monture, le pilote et son passager étant eux-mêmes expulsés dans le bas-côté. Sorti en trombe, Adam Yates a rejoint l’ensemble des coureurs qui occupaient jusqu’alors la tête de course et dépasse Greg Van Avermaet, à terre, dans une confusion générale. Impossible alors pour le jeune coureur anglais qui plonge en solo vers San Sebastian d’avoir la certitude qu’il court en tête.
Derrière lui s’est formé un groupe composé de coureurs beaucoup trop forts pour pouvoir collaborer efficacement. Roman Kreuziger (Tinkoff-Saxo), Daniel Martin (Cannondale-Garmin), Bauke Mollema (Trek Factory Racing), Joaquim Rodriguez (Team Katusha), Rigoberto Uran (Etixx-Quick Step) et Alejandro Valverde (Movistar Team) ne se rapprocheront pas d’Adam Yates, lequel prend soin d’éviter la mésaventure qui lui avait coûté une chance de jouer la gagne l’an passé. Déjà en tête à ce stade de la course il y a un an, le Britannique avait glissé dans la descente de Bordako Tontorra, favorisant la victoire d’Alejandro Valverde. Prisonnier de ce groupe poursuivant, le champion d’Espagne monté dimanche sur le podium du Tour de France ne rééditera pas sa victoire à San Sebastian, où un peloton d’une grosse vingtaine d’unités se reconstitue à la poursuite d’Adam Yates, qui insiste devant sans savoir s’il court pour la victoire.
Ce n’est que dans les derniers hectomètres que le jeune anglais porte une main à son oreillette, cherchant à obtenir l’information selon laquelle il est bien sur le point de s’imposer. Mais la foule en furie le prive de l’utile précision et c’est donc le profil bas que le vainqueur de la Clasica San Sebastian rejoint la ligne d’arrivée, 15 secondes avant un peloton réglé par Philippe Gilbert devant Alejandro Valverde. Julian Alaphilippe (Etixx-Quick Step) 8ème et Warren Barguil (Giant-Alpecin) 9ème assurent une belle présence française dans le Top 10. Sorti grandi de son premier Tour de France (7ème à Mûr-de-Bretagne, 7ème à La Pierre-Saint-Martin et 10ème à Pra-Loup), Adam Yates accroche à 22 ans sa toute première classique, lui qu’on avait vu conquérir le Tour de Turquie et finir 6ème du Dauphiné à ses débuts chez les pros l’an dernier.
Classement :
1. Adam Yates (GBR, Orica-GreenEdge) les 219 km en 5h30’22 » (39,8 km/h)
2. Philippe Gilbert (BEL, BMC Racing Team) à 15 sec.
3. Alejandro Valverde (ESP, Movistar Team) m.t.
4. Daniel Moreno (ESP, Team Katusha) m.t.
5. Joaquim Rodriguez (ESP, Team Katusha) m.t.
6. Bauke Mollema (PBS, Trek Factory Racing) m.t.
7. Daniel Martin (IRL, Cannondale-Garmin) m.t.
8. Julian Alaphilippe (FRA, Etixx-Quick Step) m.t.
9. Warren Barguil (FRA, Giant-Alpecin) m.t.
10. Rigoberto Uran (COL, Etixx-Quick Step) m.t.