Ce mardi matin, l’annonce a fait l’effet d’une petite bombe : Romain Bardet reposera ses roues sur les routes du Tour d’Italie dès cette saison, du 6 au 29 mai. Coincé sur le Tour tout au long de son passage chez AG2R-la-Mondiale (2012-2020), contraintes commerciales obligeant, l’auvergnat n’avait pu découvrir son cousin (et rival) transalpin que l’année dernière, pour ses débuts sous le maillot du Team DSM. Forcément plus libre dans ce cadre international, où il ne croule plus sous un leadership unique, Romain Bardet se laisse désormais aller selon ses envies, guidé par ses aptitudes spécifiques. Aucunement envisageable sous l’ère AG2R, cette annonce est particulièrement symbolique du changement insufflé par l’expatriation et du challenge recherché par le brivadois.
D’ailleurs, autre nouveauté en rupture avec les pratiques hexagonales, cette soudaine communication s’inscrit dans une stratégie de secret des programmes mis en place par la formation allemande, réputée pour son approche ultra rigoureuse du sport cycliste, ouverte à tout apport scientifique. « Cette façon de ne pas communiquer nos programmes de courses est destinée à nous protéger et à nous laisser travailler sereinement » explique ainsi l’intéressé, satisfait de ce mode de fonctionnement. S’il travaille depuis novembre en vue de cet objectif majeur, sa publication soulève naturellement moultes questions inhérentes.
Romain Bardet évolue désormais sous le maillot du Team DSM | © Team DSM
La forme ascendante de Romain Bardet lui ouvre les meilleures perspectives
Aujourd’hui, Romain Bardet est frais et fort, soit toutes les qualités espérées à cette période depuis novembre. Son programme de courses a effectivement été très léger, sur le modèle de l’an passé, le français n’ayant participé qu’à trois épreuves par étapes : l’UAE Tour, Tirreno – Adriatico et actuellement le Tour des Alpes. Dès lors, le second du Tour de France 2016 a eu le temps de peaufiner son état de forme physique au moyen de stages successifs, taillés sur mesure pour son profil et ses besoins. Ainsi, depuis sa 12e place sur « la course des deux mers », le brivadois s’en est allé du côté de Tenerife, alliant ainsi adaptation à l’altitude avec un travail spécifique de grimpeur. Pour les coureurs qui l’acceptent et le supportent, ce modèle « peu de courses – beaucoup de stages » a maintes fois prouvé son efficacité au cours des dernières années. En 2015 et 2016, Chris Froome avait ainsi reproduit le schéma victorieux de quatre épreuves par étapes et une classique majeure avant de se présenter au départ de la Grande Boucle. D’ailleurs, à l’image du britannique, cette stratégie s’avère particulièrement pertinente pour les coureurs en « perte de jeunesse », comme c’est justement le cas de Romain Bardet, dont le gâteau d’anniversaire a compté 31 bougies le 9 novembre dernier.
Romain Bardet sort tout juste d’un stage en altitude, à Tenerife | © Team DSM
Pour l’instant, ces choix payent. Si l’auvergnat n’avait pas l’air bien fringant sur ces premières apparitions cette saison, son état de forme croît sans encombre et lui permet désormais de jouer la victoire sur le Tour des Alpes, où il est systématiquement monté sur le podium des deux premières étapes. Affamé, il en vient même à regretter ses erreurs dans les sprints, les yeux rivés vers la victoire. S’il ne s’agissait pas des étapes reines de l’épreuve italo-autrichienne, leur conséquent dénivelé nécessitait toutefois un coup de pédale saignant pour obtenir de tels résultats. Certains leaders sont déjà passés à la trappe, à l’image de Thibaut Pinot ou Hugh Carthy, et beaucoup d’autres n’ont pas été capable de se mêler à l’emballage final avec une telle vigueur. Clairement, Romain Bardet connait une forme galopante.
Bardet, le candidat au général
Sans accroc, celle-ci devrait être entretenue par sa fraîcheur tout au long du Giro, et particulièrement durant la deuxième partie, où des organismes usés affronteront les pires montagnes. Ça tome bien, Romain Bardet est un homme des dernières semaines. Accoutumé à effectuer de belles remontadas dans les ultimes étapes des Grands Tours, il trouvera là un contexte particulièrement favorable à son entreprise. En outre, il sera aidé par son profil, celui d’un pur grimpeur, peu à l’aise en chrono mais redoutable en montagne. A l’image de sa victoire à l’altiport de Peyragudes sur le Tour 2017, Romain Bardet a effectivement prouvé à maintes reprises qu’il n’était jamais aussi fort que lorsque les pourcentages sont abrupts. Ainsi, les déclivités folles du Santa Cristina (12,7km à 8,1%, étape 16), du Monte Rovere (8km à 9,6%, étape 17), du Kolovrat (10,3km à 9,1%, étape 19) ou encore du Passo Fedaia (rampe finale de 5,7km à 10,4%, étape 20) joueront naturellement en sa faveur. Même une dernière montée, placée dans le contre-la-montre final, lui permettra d’y limiter les pertes de temps.
Dès lors, l’auvergnat dispose des meilleures conditions pour réaliser son objectif, annoncé hier dans une interview à Eurosport, « faire mieux que l’an passé », c’est-à-dire septième. Déjà, il était passé de la 10e à la 5e place du classement général au cours de la dernière semaine de course, avant d’être plombé par un ultime chrono, long de 30 bornes. Il y avait tout particulièrement démontré sa faculté à tourner à son avantage les conditions météorologiques rudes dans l’étape de Cortina d’Ampezzo.
Romain Bardet avait été l’un des principaux animateurs du Giro 2021 | © Team DSM
En fait, Romain Bardet possède toutes les qualités requises pour briller au Giro, beaucoup plus qu’au Tour d’ailleurs. Résistant, endurant, grimpeur et offensif, il devrait se retrouver sur son terrain de jeu de prédilection. Certes, il ne sera pas seul. Richard Carapaz (INEOS-Grenadiers), Simon Yates (BikeExchange-Jayco), Joao Almeida (UAE Emirates), Mikel Landa (Bahrain – Victorious) ou encore Pello Bilbao (Bahrain – Victorious) lui tiendront notamment compagnie dans les montagnes transalpines. En outre, Romain Bardet devra gérer la concurrence interne de Jai Hindley, étonnant 2e en 2020.
Romain, le chasseur d’étapes
Mais un Grand Tour n’est jamais linéaire. Défaillances, bordures et chutes y sont légion. La régularité est un luxe. Romain est bien placé pour en parler. Sa dernière expérience sur un Grand Tour, la Vuelta, fut même marquée d’entrée par une désillusion de la sorte, brusquement jeté au sol par une violente chute en direction d’Albacete. L’auvergnat avait terminé l’étape à plus de 12 minutes de Jasper Philipsen, vainqueur du jour, symbole de son mal. Sa course aurait pu s’arrêter dans la cité de Castille-de-la-Manche. Mais le brivadois s’est relevé, partant à l’attaque dans les échappées, terminant sixième au Balcon de Alicante deux jours plus tard. Sa bravoure fut finalement récompensée par un bouquet sacré. A nouveau offensif sur la 14e étape, il s’était montré irrésistible pour ses compagnons d’échappés, qu’il avait largué un par un, se laissant le temps de savourer sa 4e victoire d’étape en World Tour au sommet du Pico Villuercas.
Romain Bardet lors de sa première victoire sur le Tour, à Saint-Jean-de-Maurienne en 2015 | © Le Tour de France
Sur ce Giro comme sur toute autre épreuve, de telles mésaventures ne peuvent évidemment pas être exclues d’office. Mais la résilience du Français pourra alors être gage d’espoirs. Si le classement général est rayé de la liste des possibles, il pourrait se lancer avec appétit dans une chasse aux étapes, répondant à son instinct primaire d’attaquant hors pair. Dès 2015, pour son premier Grand Tour en tant que leader, il avait ainsi su changer d’ambitions à la suite d’une défaillance dans la montée de La Pierre Saint-Martin. Neuf jours plus tard, il remportait son premier succès en Grand Tour à Saint-Jean-de-Maurienne. Ses qualités de puncheur-sprinteur s’ajoutant à ses aptitudes en montée, le brivadois devient effectivement un redoutable candidat à la victoire lorsqu’il se glisse dans une échappée. Par conséquent, quoi qu’il arrive sur ce 105e Giro, n’enterrons jamais Romain Bardet.
Par Jean-Guillaume Langrognet