La Total-Energies transfigurée…
Quand, à l’arrivée de la dernière édition de Milan – San Remo, un journaliste a demandé à Anthony Turgis ce qu’il avait pensé de l’arrivée de Peter Sagan au sein de l’effectif de la TotalEnergies, le francilien a avoué s’être posé la question au moment de l’officialisation du transfert. Craignant pour son leadership, il a considéré les éléments allant à l’encontre de ce mouvement, mais prît aussi conscience des bénéfices apportés. Parmi eux, outre l’expérience du triple champion du monde, figurait en bonne position l’apport des cycles Specialized, un vélo qui « fait vraiment la différence » d’après les dires du tout récent dauphin de Matej Mohoric (Bahrain – Victorious) sur la « Classissima ». Nous nous sommes interrogés sur cette déclaration. De quelle ampleur est donc cette différence ? Se dote-t-elle d’un caractère décisif, au point d’expliquer la transfiguration des résultats de l’écurie vendéenne ?
Anthony Turgis s’est montré déçu par sa deuxième place à l’arrivée de Milan – San Remo, convaincu qu’il aurait pu aller chercher la première | © Team TotalEnergies
En effet, au 31 mars 2022, après deux bons mois de compétition, la formation de Jean-René Bernaudeau, appartenant à la deuxième division du cyclisme mondial, figure en 9e position du classement d’UCI, avec 2187 points, deux fois plus que ses consœurs DSM, Israel Premier-Tech, EF Education – Easy Post ou Astana, pourtant classées en World Tour. L’an passé, à la même époque, elle n’occupait que la 16e place. Mieux, la structure vendéenne a réussi cette année à monter sur le podium d’un Monument, chose qu’elle n’était plus parvenue à faire depuis la deuxième place de Sébastien Turgot sur Paris – Roubaix 2012. Pour expliquer ce soudain rebond, le facteur du recrutement semble pouvoir être écarté. En effet, si Jean-René Bernaudeau a sorti le chéquier pour attirer dans ses rangs Peter Sagan et toute sa clique, leurs performances s’effacent largement derrière celles de Dries Van Gestel ou Anthony Turgis, meilleurs « scoreurs » de l’équipe.
… Specialized responsable ?
Dès lors, nos regards se tournent vers l’autre changement notable de l’hiver : l’équipementier matériel. Effectivement, Peter Sagan n’a pas seulement amené trois équipiers, un masseur, un directeur sportif ou encore un attaché de presse dans ses valises, mais aussi son sponsor personnel : Specialized. L’homme et la marque sont tellement liés qu’ils ont même fondé une collection éponyme l’an passé, fruit d’une relation qui dure depuis 2015, et la venue du slovaque au sein de l’effectif de la Tinkoff – Saxo. Entre Specialized et Sagan, l’homme dépasse l’équipe, mais tout le monde en profite.
Peter Sagan a emmené Specialized dans ses valises dans son transfert vers la Vendée | © Team TotalEnergies
Ainsi, depuis le 1er janvier dernier, tous les coureurs du Team TotalEnergies ont troqué leur Wilier Filante SLR (d’une valeur de 8 400 €) pour le modèle Tarmac SL7 de Specialized (coûtant 14 500 € pour le grand public). La sortie de ce bijou d’aérodynamisme, en 2020, avait suscité tant d’enthousiasme au sein de la firme californienne qu’elle avait carrément organisé un stage de trois jours pour que les journalistes puissent se rendre compte de son époustouflante efficacité.
Le Tarmac SL7, anatomie d’une fusée
On pourrait disserter longtemps sur les raisons de cette merveille, mais l’on s’attardera particulièrement sur les trois points essentiels de la bicyclette : son poids, sa rigidité et ses roues.
Le modèle du Tarmac SL7 de Specialized utilisé par la TotalEnergies | © Specialized
Tout d’abord, le Tarmac SL7 fleurte avec les limites règlementaires, par sa masse de 6,8 kilos, soit 700 grammes de moins que l’ancien modèle utilisé par la TotalEnergies. Plus qu’un confort accru, c’est une légèreté gagnée par les coureurs, qui se ressent tout particulièrement en fin de course, quand les organismes sont usés par l’effort d’une journée. Dès lors, il n’est pas étonnant qu’Anthony Turgis en ait ressenti l’effet au terme de Milan – San Remo, la plus longue classique de la saison (plus de 300 kilomètres).
En sus, l’impressionnante rigidité du modèle est systématiquement relevée par les testeurs. Doté d’une fibre de carbone très haut de gamme, le cadre répond effectivement sans broncher aux coups de pédales assénés par les coureurs, même les plus intenses. Ce n’est pas pour rien que Julian Alaphilippe et son punch légendaire l’affectionnent tout particulièrement. Dès lors, le Tarmac SL7 se montre extrêmement réactif aux mouvements de ses cavaliers, consistant ainsi un atout majeur pour les sprints, les attaques et les relances.
Enfin, en pure F1 de cycles, le nouveau jouet des vendéens fait aussi beaucoup parlé par son aérodynamisme, notamment procuré par les roues Roval, directement intégrées au modèle par l’équipementier. Déclinée en version « forts pourcentages », elle garde en toutes situations son étonnante légèreté tout en conférant en puissant sentiment de stabilité grâce à sa hauteur de jante, comprise entre 5,1 centimètres à l’avant et 6 à l’arrière. La marque américaine chiffre de gain de stabilité à 25% par rapport à ses anciens modèles, consistant là en une prouesse considérable, à laquelle elle nous a désormais habitués.
Specialized, contributeur des performances du Team TotalEnergies
Ces gains marginaux mis bout à bout semblent ainsi procurer aux coureurs un avantage décisif lors des dénouements. La « différence » citée par Anthony Turgis s’établirait à 15 watts, selon les résultats de tests effectués par Pierre Latour au vélodrome national de Saint Quentin en Yvelines. A titre de comparaison, sachez que sur Milan – San Remo, Matej Mohoric a développé une puissance moyenne de 262w, et Mathieu Van der Poel (Alpecin – Fenix), 3e, 266w, selon les données publiées par les coureurs sur Strava. Face à une telle concentration des niveaux, cet apport semble ainsi fondamental, expliquant pourquoi les cycles Specialized sont tant appréciés par les coureurs. S’il n’est pas question d’ôter toute performance humaine dans les résultats des hommes de Jean-René Bernaudeau, il faut néanmoins prendre conscience qu’ils sont bien portés par cet atout matériel, que beaucoup leur envient. Merci Peter !
Par Jean-Guillaume Langrognet