Bjarne Riis lui avait donné l’ordre de rester dans la roue d’Alberto Contador. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’élève a respecté la consigne. Mais, le sourire qu’Andy Schleck arborait sur les lèvres depuis sa prise de pouvoir semble avoir disparu. Contador n’a plus vraiment envie d’esquiscer un sourire quand micros et caméras se braquent sur lui. La guerre des nerfs est lancée et elle a abouti, en Ariège, à une étape de dupes. On attendait le duel Contador/Schleck et c’est finalement le match à distance entre Riblon et Menchov qui a tenu les suiveurs en haleine dans la montée finale. Car, cette neutralisation a permis à un véritable attaquant de triompher aujourd’hui au sommet. Dernier rescapé de l’échappée matinale, Christophe Riblon (AG2R La Mondiale), Picard de 29 ans, coureur complet formé sur la piste, a résisté au retour des favoris de façon exceptionnelle pour offrir à la France, sa quatrième victoire sur ce Tour 2010.
Riblon faisait initialement partie d’un groupe de coureurs échappés, parti sur les premiers kilomètres escarpés de l’Ariège. Dans ce groupe, Stéphane Augé (Cofidis) se sacrifie pour son coéquipier Amael Moinard. Jurgen Van de Walle (Quick Step), Benoît Vaugrenard (FDJ), Pierre Rolland (Bbox Bouygues Télécom) et Christophe Riblon, le mieux classé 33ème à 24’37 composent le reste du groupe de tête. Mais leur survie semble périlleuse, car les Astana ont embrayé bien avant le Port de Pailhères (15,5 km à 7,9%). Pied au plancher, l’équipe kazakhe réduit l’écart de moitié et les échappées n’ont qu’un petit bénéfice de 3 minutes 50 au pied du col Hors Catégorie. Mais le tempo des Astana n’est pas assez élevé pour empêcher les initiatives. Après le démarrage de la pépite espagnole Rafael Valls (Footon-Servetto) dès les premiers contreforts, Carlos Sastre, tracté par son compagnon Volodimyr Gustov (Cervélo) part chercher l’étape. Les favoris ne bougent pas. La montée de Pailhères est escamotée. Ceint du maillot de meilleur grimpeur, Anthony Charteau (Bbox Bouygues Télécom) s’extirpe de ce peloton assomé par la chaleur, à 2 kilomètres du sommet pour aller chercher les points du grimpeur. Il emmène avec lui Damiano Cunego (Lampre-Farnese Vini). L’Italien poursuit l’effort dans la descente pour retrouver Valls, Sastre et l’increvable Vasil Kiryienka (Caisse d’Epargne), lui aussi aux avant-postes sur les pentes de Pailhères.
Au pied de la montée finale, tout ce petit monde se retrouve à deux minutes derrière deux hommes : Christophe Riblon et Amael Moinard. Le coureur d’AG2R a assuré le rythme de l’échappée dans le port de Pailhères. Un tempo trop élevé pour ses compagnons d’échappée. Résultat, Riblon passe le sommet seul en tête, et entame la montée finale d’Ax-3 Domaines (7,8 km à 8,2 %) avec une poignée de secondes sur Amel Moinard, défaillant dans le dernier kilomètre de Pailhères mais auteur d’une descente efficace. Sous les accélérations de Carlos Sastre, le groupe des poursuivants explose. L’Espagnol part seul chercher Riblon. Dans le groupe des favoris, le scénario est conforme à ce que l’on pouvait imaginer. Comme prévu, Vinokourov (Astana) dévoué corps et âme à Contador, entre en piste au pied de la montée finale. Son long relais entraîne un écrémage du groupe des favoris. Un kilomètre après la prise de pouvoir du Kazakh en tête du groupe, ils ne sont plus que 8 coureurs autour du Maillot Jaune. Par ordre d’apparition : Vinokourov (Astana), Luis Leon Sanchez Sanchez (Euskaltel), Contador (Astana), Rodriguez (Katusha), Menchov (Rabobank), Van den Broeck (Omega Pharma – Lotto), Samuel Sanchez (Euskaltel) et Leipheimer (RadioShack). Le camp Liquigas est le grand perdant du jour puisque Basso et Kreuziger (Liquigas) sont à la dérive dès les premiers lacets.
Au milieu des outsiders, la position des deux favoris intrigue. Contador et Schleck se marquent en fin de groupe, comme deux pistards. Ils se laissent décrocher, s’épient, échangent mots et regards. Le Luxembourgeois marque Contador à la culotte. On croit revivre l’ascension de la Madeleine avec des rôles inversés. Devant cette situation d’attentisme, les choses reviennent forcément dans l’ordre. Tandis qu’on ramasse les restes de l’échappée – Kiryienka, Cunego, Valls – Gesink (Rabobank) fait son apparition dans le groupe Maillot Jaune. C’est à 4,5 km de l’arrivée que Contador lance une première banderille. Schleck le suit comme son ombre. La surprise vient d’un troisième homme qui répond du tac au tac aux duellistes : Denis Menchov a le bon coup de pédale. Dans sa quête de la troisième marche du podium, le Russe taciturne est enfin sorti de sa torpeur. Mais, rebelote, les favoris se marquent, et s’arrêtent au milieu de la chaussée. Samuel Sanchez revient, Rodriguez et Gesink recollent. Tout est à refaire pour Contador. 1500 mètres après son démarrage avorté, le scénario se répète. Deuxième attaque et deuxième échec. Dans le rôle du chasseur, Schleck est impérial. Et, à nouveau tout le monde plafonne. Sastre repris après la première attaque de Contador, profite de la temporisation pour repartir à l’avant. Un geste désespéré pour l’honneur. Indirectement, Christophe Riblon profite lui aussi de la situation. Son avance avoisine toujours les deux minutes sous la banderole des 3 kilomètres. Sa résistance après 25 kilomètres d’effort solitaire est héroique.
Les outsiders, jusqu’alors spectateurs passifs de cette prise de bec se réveillent. Samuel Sanchez qui se moque du duel part, seul. Menchov se charge de le ramener à la raison avant de le contrer magistralement. C’est le match pour le podium qui se déroule sur les pentes d’Ax-3 Domaines, car pour le match pour le Maillot Jaune, on repassera. Contador et Schleck sont littéralement arrêtés au milieu des supporters pantois. On roule à 15 km/h, du jamais vu dans la montée finale d’un col. Menchov profite de l’occasion pour creuser les écarts sur des adversaires à bout de souffle. La victoire d’étape, elle est déjà promise au plus combatif du jour. Car, Riblon réalise un grand numéro. En 7 kilomètres de montée, il n’a perdu qu’une 1 minute 30 sur les leaders du Tour. Il gagne l’étape avec 54 secondes d’avance sur Menchov et Sanchez qui se sont finalement neutralisés, eux aussi. Schleck et Contador, un instant distancés réagissent dans les derniers kilomètres. Ils finissent à 1’08 du Français en compagnie de Rodriguez, Gesink et Van Den Broeck. Difficile de tirer des enseignements de cette étape. Les attaques de Contador étaient-elles assez tranchantes? La montée finale n’était-elle pas « trop facile » comme l’a affirmé le Madrilène après l’arrivée? Andy Schleck a-t’il eu raison de rester dans l’ombre de Contador ? Une chose est sûre: la guerre des nerfs a démarré dans ce premier acte des Pyrénées. Il n y a plus qu’à espérer qu’elle ne se transforme pas en guerre froide.
Classement de l’étape 14:
1. Christophe Riblon (FRA, AG2R La Mondiale)
2. Denis Menchov (RUS, Rabobank) à 54sec.
3. Samuel Sanchez (ESP, Euskaltel) m.t.
4. Andy Schleck (LUX, Saxo Bank) à 1’08 »
5. Joaquin Rodriguez (ESP, Katusha)
6. Robert Gesink (HOL, Rabobank)
7. Alberto Contador (ESP, Astana) m.t.
8. Jurgen Van Den Broeck (BEL, Omega Pharma-Lotto)
9. Damiano Cunego (ITA, Lampre-Farnese Vini) à 1’49 »
10.Carlos Sastre (ESP, Cervélo TestTeam) m.t.
Classement complet
Classement général:
1. Andy Schleck (LUX, Saxo Bank)
2. Alberto Contador (ESP, Astana) à 31sec.
3. Samuel Sanchez (ESP, Euskaltel) à 2’31 »
4. Denis Menchov (RUS, Rabobank) à 2’44 »
5. Jurgen Van Den Broeck (BEL, Omega Pharma-Lotto) à 3’31 »
6. Robert Gesink (HOL, Rabobank) à 4’27 »
7. Levi Leipheimer (USA, RadioShack) à 4’51 »
8. Joaquin Rodriguez (ESP, Katusha) à 4’58 »
9. Luis Leon Sanchez (ESP, Caisse d’Epargne) à 5’56 »
10.Ivan Basso (ITA, Liquigas-Doimo) à 7’04 »