Sur les flancs verdoyants de la côte de la Redoute, haut-lieu du cyclisme wallon, une stèle érigée il y a vingt ans au moment du centenaire de ce qui demeure la Doyenne des classiques, rappelle qu’ici, « les plus grands champions forgèrent leurs victoires dans Liège-Bastogne-Liège ». Ce n’est plus le cas dans le cyclisme d’aujourd’hui, la Redoute étant située bien trop loin du but pour que quelqu’un s’y risque à attaquer. Ce n’est pas que la ligne d’arrivée ait été repoussée – du sommet de la Redoute aux faubourgs liégeois, il reste toujours 34,5 kilomètres à parcourir – mais les temps changent, les stratégies avec, la mode étant au report de l’attaque décisive le plus tard possible. A tort ou à raison ? Il faut croire que si les coureurs agissent ainsi, ce n’est pas par hasard. Le scénario du 98ème Liège-Bastogne-Liège va s’attacher à le démontrer…
Il s’agira d’une édition pluvieuse, très fraîche même, sous un ciel de toutes les couleurs et des nuages gorgés de multiples agréments : fines gouttes, averses torrentielles, grêlons… Entre deux accalmies, une première échappée prend forme au kilomètre 38, comprenant six coureurs : Gregory Habeaux et Kevin Ista (Accent Jobs-Willems Veranda’s), Alessandro Bazzana (Team Type 1-Sanofi Aventis), Dario Cataldo (Omega Pharma-Quick Step), Simon Geschke (Argos-Shimano) et Reinier Honig (Landbouwkrediet-Euphony). Ce sera le principal fait du premier tronçon de la classique, jusqu’au virage de Bastogne, où l’avance des attaquants atteint 12’35 ». Puis on reprend le chemin en sens inverse, mais via les routes les plus accidentées du pays. La couse franchit les côtes de Saint-Roch, de Wanne, de Stockeu et de la Haute-Levée, des noms qui donnaient autrefois le signal du début des hostilités en route pour la Redoute.
Pierre Rolland (Team Europcar) n’est pas encore cité au rang de favori de Liège-Bastogne-Liège. Le grimpeur français peut donc s’autoriser à respecter la légende. La Haute-Levée franchie, il donne l’assaut à 80 kilomètres de l’arrivée, rejoint dans son initiative par Vasil Kiryienka (Movistar Team) et David Le Lay (Saur-Sojasun). Le trio s’entend bien et se porte à la hauteur des échappés du matin dans le col du Rosier à un peu plus de 70 kilomètres du but. L’échappée va atteindre la côte de la Redoute en tête, emmenée par un Pierre Rolland des plus inspirés. Le meilleur jeune du Tour 2011 passe l’ancien juge de paix de la Doyenne en tête avec Vasil Kiryienka. Les deux hommes prolongent leur effort, qu’ils maintiendront jusque dans la côte de la Roche aux Faucons, à 20 kilomètres de l’arrivée, où ils s’effaceront au profit des favoris.
Vincenzo Nibali merveilleux ambassadeur d’un cyclisme à l’ancienne.
A défaut de mouvements au sein du peloton, on a grimpé la Redoute au train, sous l’impulsion de l’équipe BMC. La course y a été durcie, personne n’est sorti du paquet. De devant s’entend, car à l’arrière une partie du peloton est passé par la fenêtre. Après la Redoute, aucun champion n’a forgé sa victoire mais ils ne sont plus qu’une trentaine susceptibles de le faire un peu plus loin, dans la Roche aux Faucons, devenue au fil du temps le nouveau grand tournant de la classique. Tandis que les derniers échappés sont repris, Vincenzo Nibali (Liquigas-Cannondale) passe à l’attaque. Il démarre une première fois dans l’ascension, accélère une deuxième fois à la bascule, pour insister une dernière fois à moins de 20 kilomètres de l’arrivée. Cette fois le peloton a implosé ! Ceux qui n’ont pas répondu à l’action du Sicilien et de ses quelques poursuivants ont atteint leurs limites. Nibali ne se pose plus de questions. Il fonce !
Dans un cyclisme qui prône l’attentisme, Nibali incarne l’antithèse. En octobre dernier, il avait tenté une performance du genre au Tour de Lombardie, à contre-courant des stratégies contemporaines. Ça n’avait malheureusement pas payé. Cette fois la distance qu’il lui faut parcourir de la Roche aux Faucons à Ans est bien moins longue que celle qui séparait le Ghisallo de Lecco en Lombardie. En route vers le quartier italien de Liège et sa côte de Saint-Nicolas, Vincenzo Nibali est convaincant. Il ferait un beau vainqueur, merveilleux ambassadeur d’un cyclisme à l’ancienne. Mais la chance ne sourit pas toujours aux plus audacieux et l’Italien ne sera pas plus récompensé aujourd’hui qu’il ne l’avait été au Tour de Lombardie. Un temps intercalé avec Joaquim Rodriguez (Team Katusha), puis seul après Saint-Nicolas, Maxim Iglinskiy (Astana) est à ses trousses.
Voilà la douzième et dernière côte de Liège-Bastogne-Liège, celle de Ans, qui grimpe sur 2 kilomètres en direction de la ligne d’arrivée. Si elle avait une âme, cette bosse finale offrirait le succès au plus méritant, Vincenzo Nibali, mais elle tourne casaque. Tourmenté moralement par le retour progressif d’Iglinskiy, Vincenzo Nibali est finalement rejoint par son poursuivant en vue de la flamme rouge. Et quand ce dernier porte une timide accélération, l’Italien donne deux coups de pédales en danseuse mais se rassoit aussitôt. Il vient de brûler sa dernière goutte d’essence et de passer à côté de son coup. Outsider comme l’était son coéquipier Enrico Gasparotto dimanche dernier sur l’Amstel Gold Race, Maxim Iglinskiy vient inscrire son nom au palmarès de Liège-Bastogne-Liège. Le reflet probablement d’une course qui, à l’exception du comportement de Vincenzo Nibali, 2ème, aura manqué de piquant chez les favoris. Ceux-ci en terminent au sprint pour la 3ème place, qu’Enrico Gasparotto confisque à Thomas Voeckler (Team Europcar), beau 4ème à Liège.
Classement :
1. Maxim Iglinskiy (KAZ, Astana) les 257,5 km en 6h43’52 » (38,3 km/h)
2. Vincenzo Nibali (ITA, Liquigas-Cannondale) à 21 sec.
3. Enrico Gasparotto (ITA, Astana) à 36 sec.
4. Thomas Voeckler (FRA, Team Europcar) m.t.
5. Daniel Martin (IRL, Garmin-Barracuda) m.t.
6. Bauke Mollema (PBS, Rabobank) m.t.
7. Samuel Sanchez (ESP, Euskaltel-Euskadi) m.t.
8. Michele Scarponi (ITA, Lampre-ISD) m.t.
9. Ryder Hesjedal (CAN, Garmin-Barracuda) m.t.
10. Jelle Vanendert (BEL, Lotto-Belisol) m.t.