Il a poussé la porte des bureaux de Vélo 101, à Saint-Herblain, ce matin de la mi-décembre. Déjà loin, bien loin, de la vie de coureur pro qui était la sienne il n’y a pas si longtemps encore. Quand toutes les équipes rassemblent actuellement leurs troupes pour préparer la saison à venir, Sébastien Turgot travaille à un nouvel avenir. A de nouveaux projets. A une nouvelle carrière. Loin de celle qu’il a conclue avec beaucoup d’amertume. Et qu’il a accepté d’évoquer sans tabou.
Sébastien, après neuf ans chez les pros, vous ne repartirez pas la saison prochaine. Comment s’est terminée votre aventure ?
Très mal. Pour tout dire ça ne s’est vraiment pas bien fini avec l’équipe Ag2r La Mondiale. J’ai le sentiment d’avoir été pris pour un con, moi comme les onze coureurs qui étaient en fin de contrat. Je n’ai pas été renouvelé en dépit de tous les sacrifices réalisés pour l’équipe et des bons retours que j’avais. La conjoncture actuelle a entraîné l’arrêt de plusieurs équipes et mis davantage de coureurs sur le marché. Et pour Vincent Lavenu il n’a pas été difficile de trouver de nouveaux candidats. J’ai couru trois ans avec Ag2r La Mondiale mais aujourd’hui je pense avoir fait une erreur en signant dans cette équipe. J’y ai fait le boulot pour les autres quand certains m’avaient conseillé de courir davantage pour ma tronche. Tout le monde le fait, mais moi ce n’est pas dans ma mentalité. Et je n’ai pas été récompensé pour ça.
Au regard de vos résultats, vous semblez ne jamais vous être épanoui au sein de cette formation, qui avait pourtant misé sur vous pour les classiques flandriennes. Que vous a-t-il manqué pour valider votre 2ème place à Paris-Roubaix 2012 ?
D’abord de la confiance de la part de l’équipe en dépit des beaux discours. Avec Ag2r La Mondiale, on partait sur les classiques avec quatre leaders. Dans ce contexte il était impossible de faire un résultat. Déjà que les gros leaders n’y arrivent pas toujours avec une équipe entière à leur service et les moyens mis autour d’eux… Nous n’avions pas de matériel approprié. On disputait les classiques sur les mêmes vélos que les grimpeurs, avec des boyaux inadaptés. Les réglages n’étaient pas bons. J’en ai même développé une tendinite en 2015.
Est-ce à dire qu’il y avait des différences de traitement au sein de l’équipe ?
Clairement, nous n’avons jamais bénéficié des moyens qui sont ceux mis en place pour les grimpeurs. L’équipe Ag2r La Mondiale, c’est grimpeurs, grimpeurs, grimpeurs. Le reste on s’en fout. Nous n’étions pas logés à la même enseigne. Romain Bardet, qui a tout ce qu’il veut en tant que leader, pouvait partir quand il voulait s’entraîner en Sierra Nevada avec deux ou trois coureurs, deux masseurs, un mécano, un entraîneur, un directeur sportif… Nous, quand on voulait partir en stage préparer les classiques, il fallait payer de notre poche.
Vous n’avez quasiment plus couru après les Championnats de France. Saviez-vous déjà que votre carrière allait s’arrêter là ?
Pas encore. Je m’étais plus ou moins mis en tête de faire la Vuelta et surtout de finir l’année en beauté. Même si la lassitude dans ce contexte gagnait du terrain, ce n’est pas comme ça que je voulais finir ma carrière. Pour cela j’ai fait un gros stage en juillet dans ma famille à Limoges. Avec minimum six heures de vélo par jour dont deux sorties de 300 bornes. Je me suis fait mal, je me sentais de mieux en mieux, et je me disais que j’allais revenir au top. Quand j’ai reçu un coup de fil de Vincent Lavenu, qui m’a appris que je ne serais pas reconduit.
Votre monde s’est alors écroulé ?
Après les sacrifices réalisés pour l’équipe, ne pas être conservé a été dur à encaisser. J’ai alors traversé une mauvaise période durant laquelle je n’ai plus touché au vélo. A cela s’est ajouté durant l’été un contrôle inopiné que j’ai manqué à mon domicile. Je rénovais mes combles, la sonnette ne marchait pas, et je n’ai pas entendu frapper. L’UCI m’a avisé personnellement de ce premier no-show mais par honnêteté j’ai préféré alerter l’équipe. J’ai eu des échanges par mail car dès lors plus personne ne me répondait par téléphone. Et sous forme de représailles on m’a interdit de courir jusqu’à nouvel ordre. Ils n’ont pas été corrects, ils m’ont dégoûté du vélo. Et puis après des semaines sans plus aucun contact, on m’a rappelé un jour d’octobre pour que j’aille courir Paris-Bourges et Paris-Tours.
Et vous vous êtes exécuté…
J’y suis allé, oui, même si je n’avais quasiment plus fait un mètre de vélo depuis juillet. Là, j’ai eu affaire à des Calimeros. Soudain les mecs venaient me voir, prenaient des nouvelles, tous avaient peur que je pète un plomb ou que je leur mette sur la gueule – ça s’est vu dans cette équipe. J’ai couru Paris-Bourges et Paris-Tours jusqu’au ravitaillement, ce qui était déjà une grande performance étant donné mon niveau et la vitesse du peloton.
C’est le constat d’un sport particulièrement ingrat que vous dressez là ?
Le vélo, c’est tellement dur qu’il faut tout faire à 100 %. Il faut oublier les sorties et accepter une vie de famille limitée. Tu es content de rentrer chez toi retrouver ta famille mais tout le monde sait que les enfants, ça fatigue. Ça te réveille la nuit, mais toi tu dois te reposer, faire attention à tout. Et si tu as le malheur de te louper sur une course, on te descend par derrière. Or quand ça te revient aux oreilles, plus personne n’assume. A force, dans ce climat, tu commences à baisser les bras, même si j’ai toujours été du genre à me remettre en question.
Quel état d’esprit vous anime aujourd’hui au moment de tourner la page ?
Ce sont avant tout les bons moments que je me remémore. Mes participations au Tour de France, à rouler pour le Maillot Jaune en 2011, les courses que j’ai gagnées, mes résultats au WorldTour parmi lesquels forcément ma 2ème place à Roubaix en 2012. Je me repasse encore le film dans la tête, toute cette souffrance qu’il m’a fallu endurer pour faire 2. Tout le final, j’étais à la rupture. En fait, je garde en mémoire tout ce qui est venu avant Ag2r La Mondiale. Pour moi, c’est comme si ces trois dernières années n’avaient pas existé. Ces gens-là m’ont tellement dégoûté du vélo que je ne peux qu’en parler en mal.
Votre histoire avec le vélo ne s’arrêtera heureusement pas sur ce sentiment. Vous avez accepté de vous engager avec l’US Saint-Herblain. Dans quel but ?
Je ne voulais plus reprendre le vélo, mais le vice-président de l’US Saint-Herblain Marc Savary, qui est un grand ami, m’a proposé d’intégrer le groupe, qui était à la recherche d’un Elite pour se maintenir en DN3. J’ai accepté dans l’idée de refaire du vélo plaisir sur des courses amateurs. Je vais évoluer en tant que capitaine de route, aider les jeunes du club à bien courir. Avec l’envie de bien faire sur les manches de la Coupe de France DN3 et les critériums de la région nantaise. Cela me permettra également de m’entretenir en vue d’objectifs nouveaux, des défis que je veux relever sans prise de tête, comme le Marathon de Nantes voire un Ironman. Pour le plaisir.
De votre expérience chez les pros, quels conseils donneriez-vous aujourd’hui à un jeune qui rêve d’endosser une carrière au haut niveau ?
De ne pas brûler les étapes. A Saint-Herblain, je reviens aux sources. Et auprès des jeunes j’ai le sentiment de me revoir à leur âge : un peu foufou, grande gueule, je vais faire ci, je vais faire ça… Il faut les recadrer un peu, les canaliser, leur apprendre le métier. L’hiver on peut faire les cons mais s’ils veulent aller plus haut il faudra faire des sacrifices. Il faut aussi privilégier les études, ce que je n’ai pas su faire. Chez les pros on peut faire les deux, les managers y sont favorables. Ensuite, être pro, c’est très, très dur. Il y a bel et bien un fossé entre les amateurs et les pros, et il est énorme. Mais surtout, avant toute chose, il faut faire du vélo par plaisir. Le jour où on perd ça, qu’on va à l’entraînement à reculons, ça devient insupportable. Il faut avancer, ne jamais baisser les bras, comme dans la vie de tous les jours.
Désormais, vous travaillez à votre reconversion. Vers quels projets vous tournez-vous ?
Je suis en train de créer une crèche à Nantes. Je monte ce projet depuis deux mois. Dans un premier temps, je vais passer mes agréments, puis je commencerai mes formations. Travailler avec les enfants est un projet qui me tient à cœur depuis plusieurs années déjà. J’ai notamment dans l’idée d’intégrer dans la structure des enfants handicapés de manière à favoriser leur insertion sociale. Pour le coup, c’est un projet qui n’a rien à voir avec le vélo !
Propos recueillis à Saint-Herblain le 14 décembre 2016.