De la même manière qu’il faille de tout pour faire un monde, il faut toutes sortes de coureurs pour former un peloton. A longueur d’année, attaquants, rouleurs, grimpeurs ou sprinteurs ont le don de nous procurer de fortes émotions, chacun dans leur style. Aussi, quand vient l’heure de remettre en jeu le maillot arc-en-ciel, il n’est pas insensé de vouloir récompenser, une fois de temps en temps, chacun des protagonistes du cyclisme. Il est certain que pour le spectateur avide de sensations, un circuit rigoureux à destination des attaquants est plus évocateur qu’un tracé plat comme un tapis de billard. Mais il est bon aussi, de temps à autres, de récompenser les purs sprinteurs en leur permettant de convoiter le titre mondial. C’est ce qui attendait aujourd’hui les coureurs engagés dans un Championnat du Monde de 266 kilomètres au Danemark.
La très grande majorité des nations engagées a investi sur un sprinteur. Il faut préciser que chaque pays ou presque dispose dans ses rangs d’un spécialiste des emballages massifs. Seules quelques équipes comme la Belgique, privée de Tom Boonen sur blessure, et la France, dont la pointe de vitesse des meilleurs finisseurs n’est pas encore reconnue à ce niveau de compétition, s’opposent vertement à une course promise d’avance à un rush final. C’est aussi le cas de quelques nations moins fortes collectivement, qui se mettent d’ailleurs en quête d’une existence dès le baisser du drapeau dans les rues de Copenhague. Sans attendre l’entrée sur le circuit de Rudersdal et ses dix-sept boucles de 14 kilomètres, les petits pays déclenchent l’indispensable course de mouvement et affolent un compteur qui se maintiendra toute la journée au-dessus des 45 km/h, faisant entrer cette édition parmi les plus rapides de l’histoire.
La course est vivement animée sur le tronçon qui mène au circuit boisé mais tellement plat de Rudersdal. Il faudra pourtant attendre d’en arriver là pour voir se dessiner la grande échappée du jour au kilomètre 30, lancée par sept coureurs : Oleg Chuzhda (Ukraine), Maxim Iglinskiy (Kazakhstan), Tanel Kangert (Estonie), Robert Kiserlovski (Croatie), Pablo Lastras (Espagne), Christian Poos (Luxembourg) et Anthony Roux (France). Voilà qui fait les affaires des équipes de sprinteurs, qui octroient un bon de sortie aux sept de tête. La Grande-Bretagne de Mark Cavendish délègue rapidement ses équipiers de luxe (Cummings, Froome, Hunt, Millar, Stannard, Thomas et Wiggins) en tête de peloton afin de contrôler une différence qui se chiffrera à 8’09 » au maximum puis d’en réduire progressivement l’importance au fil des tours de circuit.
Roux, Offredo et Voeckler à l’attaque, devant un peloton contrôlé par les Britanniques.
Pour contrecarrer les plans des nations qui rêvent d’un sprint, il faut durcir la course de bonne heure. Les Belges s’y attachent à 115 kilomètres de l’arrivée en lançant deux hommes, Olivier Kaisen et Johan Van Summeren, accompagnés de Simon Clarke (Australie), Yoann Offredo (France) et Luca Paolini (Italie), à la poursuite des hommes de tête. Les poursuivants vont opérer la jonction avec les attaquants matinaux à cinq tours de l’arrivée, au moment où une chute massive coupe le peloton en deux. Plusieurs coureurs sont à terre, pris dans un embouteillage monstrueux. Pas de gros bobos mais des favoris piégés qui ne réintégreront plus le peloton, à commencer par le champion du monde en titre Thor Hushovd. Mark Cavendish, lui, reste vigilant aux avant-postes d’un peloton inlassablement emmené par les Britanniques, et qui revient lentement mais sûrement sur la dizaine d’échappés à l’approche des derniers tours.
La jonction est imminente quand Anthony Roux, échappé depuis le matin, choisit d’insister à deux tours de l’arrivée. Mais le dernier rescapé de la grande fugue du jour sera absorbé avec les honneurs à 20 kilomètres de l’arrivée. Aussitôt, c’est Thomas Voeckler (France) qui passe à l’attaque, avec Klaas Lodewyck (Belgique) et Nicki Sörensen (Danemark), puis Johnny Hoogerland (Pays-Bas). L’Alsacien fait honneur au maillot de l’équipe nationale. Et sans doute lui aurait-il fallu recevoir le soutien d’un favori comme Philippe Gilbert (Belgique), invisible sur ce circuit, car la tâche est rude. Les quatre derniers attaquants grincent des dents, quelques longueurs seulement devant le peloton. Déjà, les trains de sprinteurs se mettent en place. Thomas Voeckler insistera jusqu’au possible mais devra abdiquer à quelques kilomètres du but.
On avait promis ce circuit danois à une arrivée au sprint, et c’est bien ce qui arrivera. La préparation du sprint est laborieuse, les divers trains montés par les nations candidates au titre n’ayant jamais été proposés dans cette configuration. Mark Cavendish, par exemple, aime être lancé par toute une équipe. Mais les siens ayant formidablement œuvré à l’avant du peloton tout au long de la journée, il doit se débrouiller seul pour conclure. Dans le faux-plat menant à la ligne, il trouve une ouverture sur la droite de la route pour remonter tous ses adversaires et s’imposer d’une demi-roue d’avance sur l’Australien Matthew Goss. L’Allemand André Greipel s’octroie la médaille de bronze sur le fil face à Fabian Cancellara. Le Français Romain Feillu sort grandi de ce sprint, 6ème et toujours plus près d’un podium sur lequel Mark Cavendish reçoit donc, comme pressenti par beaucoup d’observateurs, le maillot arc-en-ciel de champion du monde.
Classement :
1. Mark Cavendish (Grande-Bretagne) les 266 km en 5h40’27 »
2. Matthew Goss (Australie) m.t.
3. André Greipel (Allemagne) m.t.
4. Fabian Cancellara (Suisse) m.t.
5. Jurgen Roelandts (Belgique) m.t.
6. Romain Feillu (France) m.t.
7. Borut Bozic (Slovénie) m.t.
8. Edvald Boasson-Hagen (Norvège) m.t.
9. Oscar Freire (Espagne) m.t.
10. Tyler Farrar (Etats-Unis) m.t.