En laissant la victoire à Andy Schleck dans l’arène du Tourmalet, Contador a revêtu les habits du Matador. Son adversaire, avait à peine dégainé son arme à dix kilomètres de l’arrivée, qu’il a été contraint de la ranger aussitôt, conscient de son impuissance face à un Contador retrouvé. La brume, la pluie et le froid avaient pourtant planté un décor d’apocalypse. L’âpreté des pentes du Tourmalet devait faire le reste. Mais, de ce brouillard a émergé les deux silhouettes de belligérants, incapables de se départager. Leur montée commune relègue l’esprit chevaleresque et l’antagonisme entre deux adversaires pour le Maillot Jaune aux oubliettes. Dénués d’imagination et de surprise, les coups de boutoir d’Andy Schleck dans le col ont tout juste démontré ses progrès dans l’exercice. Certes, l’image du coude à coude dans cette finale du Tour, revisite d’une certaine manière les plus grands duels du sport cycliste, mais, elle laisse aussi un goût d’inachevé bien amer. Celle d’un duel sans véritable passe d’armes. La dramaturgie qui accompagnait ces derniers jours la course au paletot, s’est évaporée en même temps que le brouillard se répendait sur le Tourmalet. La tension est retombée à l’endroit même où elle devait connaître son paroxysme. A l’aune de ce nouveau rendez-vous manqué, la traversée soporifique des Pyrénées n’aura été qu’un pétard mouillé. Le Tour devait donc se jouer – s’il n’est pas déjà bouclé – samedi, dans les vignes du Bordelais.
Les torrents d’eaux tombés sur Pau, dans la matinée, pouvaient laisser penser que certaines équipes, à l’imagination fertile, allaient sortir du schéma de la course cadenassée. Avec le col de Marie-Blanque et du Soulor en apéritif, il y avait de quoi faire. Le temps serait à l’aventure, à la prise de risque. Il n’en fût rien. Les seuls courageux à mettre le nez à la fenêtre, n’étaient que des seconds couteaux. Sept mercenaires en quête de rachat ou de reconnaissance : Edvald Boassen Hagen et Juan-Antonio Flecha (Team Sky), Alexandre Kolobnev (Katusha), Markus Burghardt (BMC), Kristjan Koren (Liquigas-Doimo), Ruben Perez (Euskaltel-Euskadi) et le Français Rémi Pauriol (Cofidis). Devant cette attentisme, Carlos Sastre (Cervélo) est pris d’un sursaut d’orgueil. Evanescent tout au long du Tour de France, le coureur espagnol tente un dernier coup. Bien seul dans sa quête de rédemption, il échoue sur ces pentes qui l’avaient autrefois béni. Ce sera un coup d’épée dans l’eau. Au même moment, un drame est entrain de se nouer dans le peloton. Samuel Sanchez (Euskaltel) s’étale de tout son corps sur la chaussée humide du piémont pyrénéen. Le Basque, 3ème du général, se relève, épaulé par Gérard Porte, et repart avec le masque de la souffrance. Il reprend vite sa place dans un peloton amorphe, exempté de secousses dans le franchissement des cols de Marie-Blanque et du Soulor. Il n y aura pas d’insurrection de dernière minute venue de Menchov, qui se la joue décidément gagne-petit sur ce Tour de France. Sur ce Tour, même les Russes ne veulent pas faire la révolution.
Au pied du Tourmalet, personne ne s’est découvert. Et le manège Saxo Bank reprend son tour, inlassablement. Les cerbères de la Saxo Bank font leur travail de sape pour faire une sélection au sein du groupe Maillot Jaune. Mais Jakob Fuglsang (Saxo Bank), dans le rôle du dynamiteur, peine à faire exploser le groupe. Son relai est une mèche courte. Devant Burghardt et Kolobnev se chamaillent pour la place de dernier rescapé. Leur sursis est provisoire, d’autant qu’Andy Schleck a décidé de passer à l’offensive. La voici, cette attaque qu’il promet depuis des jours et qui lui a valu tant d’économie sur les flancs d’Ax-3 Domaines. Celle qui doit renverser la vapeur et faire trébucher l’Espagnol de son trône jaune pâle. Franc du collier, le Luxembourgeois se dresse sur les pédales, suivi comme son ombre par un Maillot Jaune, plus sautillant que jamais sur sa machine. Le Luxembourgeois ne se rassoit que pour entamer son train, démesurément élevé, à peine rythmé par quelques pseudos démarrages qui ne chahutent pas Contador. L’Espagnol est collé à sa roue comme une sangsue. A 4 kilomètres du sommet, pris d’un sursaut d’orgueil mal placé, le Maillot Jaune place même une banderille pour enterrer définitivement son adversaire. Schleck revient à sa hauteur, le toise, avant de lui lancer un regard foudroyant dont l’auteur le jugera « tout à fait normal », une fois la ligne d’arrivée franchie. Attention, l’excès de politesse entre adversaires au Maillot Jaune peut nuire à une vraie rivalité.
Les dernières velléités offensives du Luxembourgeois n’y changeront rien. Elles sont toutes noyées dans le brouhaha des spectateurs chauffés à blanc par ce duel, qui n’a finalement rien d’épique. Au sommet, Contador a la décence de ne pas disputer le sprint au Luxembourgeois qui a mené les dix derniers kilomètres de la montée finale. Mais comment interpréter le point rageur du Luxembourgeois sur la ligne? Le geste d’un coureur rassuré de ne pas avoir été humilié par un contre meurtrier de l’Espagnol, ou l’assurance d’un leader qui croit dur comme fer pouvoir déloger Contador de son pied d’Estale, en réalisant le chrono de sa vie? Ce soir, il estime ne pas avoir perdu le Tour. Après tout, peut-être a-t-il encore un plan en tête. La réponse reste aussi opaque que le brouillard qui a gagné le sommet du Tourmalet, comme pour gommer la déception du col du centenaire de n’avoir pas vu sur ses pentes, le duel acharné tant annoncé.
Classement de l’étape 17:
1. Andy Schleck (LUX, Saxo Bank)
2. Alberto Contador (ESP, Astana) m.t
3. Joaquin Rodriguez (ESP, Katusha) à 1’18 »
4. Ryder Hesjedal (CAN, Garmin-Transitions) à 1’27 »
5. Samuel Sanchez (ESP, Euskaltel) à 1’32 »
6. Denis Menchov (RUS, Rabobank) à 1’40 »
7. Robert Gesink (HOL, Rabobank) m.t
8. Christopher Horner (USA, RadioShack) à 1’45 »
9. Jurgen Van den Broeck (BEL, Omega Pharma-Lotto) à 1’48 »
10.Roman Kreuziger (CZE, Liquigas-Doimo) à 2’14 »
Classement complet
Classement général :
1. Alberto Contador (ESP, Astana)
2. Andy Schleck (LUX, Saxo Bank) à 8sec.
3. Samuel Sanchez (ESP, Euskaltel) à 3’32 »
4. Denis Menchov (RUS, Rabobank) à 3’53 »
5. Jurgen Van den Broeck (BEL, Omega Pharma-Lotto) à 5’27 »
6. Robert Gesink (HOL, Rabobank) à 6’41 »
7. Joaquin Rodriguez (ESP, Katusha) à 7’03 »
8. Ryder Hesjedal (CAN, Garmin-Transitions) à 9’18 »
9. Roman Kreuziger (ITA, Liquigas-Doimo) à 10’12 »
10.Christopher Horner (USA, RadioShack) à 10’37 »